
Il me faudrait deux mois minimum pour finir son tatouage. Dans le meilleur des cas. Ma queue risquait d'imploser si je devais attendre aussi longtemps pour coucher avec Tenley.
La situation était dangereuse. Pendant toute la durée du tatouage, je n'avais pas arrêté de penser à ce qui se trouvait sous cette foutue culotte. J'avais dû me démener pour prononcer des paroles cohérentes ou éviter de dire quelque chose de stupide. Et je m'étais plutôt bien débrouillé, étant donné les perturbations qui agitaient mon entrejambe.
Je m'étais aperçu très vite qu'elle était rasée. Je ne voulais pas y penser, en faire une obsession, ni me poser de questions, mais c'était difficile. Sans compter qu'elle avait fait les choses parfaitement. Il n'y avait rien à raser, pas le moindre duvet. D'après mon expérience, les femmes qui prenaient un tel soin de leur entrejambe étaient payées pour se déshabiller ou bien elles le faisaient pour quelqu'un. Si Tenley avait un petit ami, ça changeait tout. Et je pourrais très bien casser la gueule de ce type parce que : a) il la laissait venir toute seule dans un salon de tatouage, b) il ne venait jamais la voir au travail, et c) il existait tout court. Je faillis poser la question à Tenley, mais m'arrêtai avant de me créer des problèmes supplémentaires.
Son dossier sous le bras, je l'invitai à quitter la salle privée et à me suivre vers mon bureau.
Si je restais une minute de plus seul avec elle, je risquais de mettre en pratique les idées qui me traversaient la tête. Tenley prit un siège, tandis que je sortais le croquis.
Le temps que j'avais passé à travailler dessus ces derniers jours était ridicule. J'avais ajouté plus de profondeur aux ailes pour mettre en valeur leurs reflets irisés et les faire paraître plus fragiles. Les détails du feu avaient été difficiles à conserver, mais j'y étais parvenu en utilisant uniquement des couleurs vives (ce qui créait un contraste fort entre les flammes et les ailes endommagées). J'attendis sa réaction.
Tenley pressa une main sur sa bouche et cligna rapidement des yeux, le souffle coupé. Elle eut même un frisson. Une expression inconnue transforma les traits délicats de son visage, soudain dépourvu de toute émotion. Elle détestait mon dessin.
— J'ai d'autres propositions à te soumettre, dis-je en m'apprêtant à ranger le croquis pour en sortir un autre.
J'avais dessiné trois versions du tatouage. Tenley posa sa main sur la mienne pour m'arrêter.
— C'est parfait. C'est encore mieux que ce que j'espérais. Ses paroles étaient mêlées d'une souffrance aiguë. Quand est-ce qu'on peut commencer ?
Ses doigts tremblaient et son regard révélait toute l'ampleur de sa souffrance. Il avait dû lui arriver quelque chose de terrible, parce qu'elle était prête, encore plus que je l'avais imaginé, à se faire tatouer.
— J'aimerais voir d'abord comment cicatrise ton nouveau tatouage. Ensuite, j'aurai une idée plus précise de l'intervalle à fixer entre chaque rendez-vous.
J'étais prêt à parier qu'elle accepterait tout de suite si je lui disais qu'on commençait maintenant et que j'allais travailler sur elle vingt heures d'affilée, une perfusion de café plantée dans le bras.
— Ça veut dire que je dois attendre deux semaines ?
Tenley retira sa main de la mienne et se mit à ronger l'un de ses ongles abîmés. Ils étaient déjà en mauvais état la semaine passée.
— Non, quelques jours environ. De toute façon, je n'ai aucune intention de revenir sur ma promesse, si c'est ce qui t'inquiète.
— Tu me le jures ? Chuchota-t-elle.
— Écoute, je vérifierai le nouveau tatouage dans un jour ou deux pour voir comment il cicatrise, la rassurai-je. Si les choses se présentent bien, nous pourrons commencer dans, disons, une semaine et demie ?
— Tu pourras vérifier l'état de mon tatouage un jour sur deux ? Demanda-t-elle.
— Bien sûr. Chaque fois que tu auras fini de travailler, si c'est ce que tu veux.
Je me serais donné des baffes ; ça signifiait que je verrais très souvent les sous-vêtements de Tenley. Je ne savais pas très bien comment ma queue tyrannique réagirait en se trouvant chaque fois aussi près de sa chatte.
— D'accord.
Ma proposition sembla l'apaiser. Tenley suivit du doigt les lignes du dessin, tandis que je parcourais mon planning en quête du meilleur créneau pour elle.
Lisa apparut derrière mon dos comme par enchantement et jeta un coup d'½il par-dessus mon épaule.
— Tu as de la place mardi dans la soirée, souligna-t-elle.
— C'est dans moins d'une semaine.
— Peut-être que le tatouage cicatrisera vite, suggéra-t-elle avec un sourire serein.
Je n'allais pas me laisser avoir aussi facilement.
— Il y a aussi un créneau jeudi soir, si tu préfères. Je vais t'inscrire sur le planning général. Si la cicatrisation est moins rapide que prévu, on déplacera ton rendez-vous.
— Ça me va, dit Tenley, semblant pleine d'espoir.
— Très bien, acquiesçai-je, surtout parce que je n'avais pas envie de la décevoir. Mais si ça se présente mal, on devra repousser la date.
— D'accord.
Tenley me prit des mains la petite carte de rendez-vous et la glissa dans sa poche arrière.
— Combien je te dois pour celui-ci ? demanda-t-elle en tapotant sa hanche.
— T'en fais pas pour ça. C'est un test.
J'étais plus qu'heureux de lui faire ce cadeau, vu la taille du dessin que je m'apprêtais à lui tatouer dans le dos. La courte séance qui m'avait permis de couvrir son horrible tatouage tout en restant à proximité de sa terre promise était déjà un paiement en soi.
— Tu es sûr ?
— Absolument. Je suis surtout content que tu m'aies laissé faire.
Tenley m'adressa le plus mignon des sourires. Comme la dernière fois, elle se pencha vers moi et déposa un rapide baiser sur ma joue.
— Merci, Zayn.
Je n'eus pas le temps de réagir, car Lisa l'entraîna aussitôt dans la salle de perçage. Fâché que Lisa m'ait volé Tenley, je les regardai disparaître derrière la porte. Jamie et Chris étaient assis dans les fauteuils de la salle d'attente et me regardaient bêtement.
— Quoi ? Aboyai-je.
— Mec, t'es vraiment mal barré. Est-ce que tu t'en rends compte ? dit Chris en riant.
C'était vrai, mais je n'allais certainement pas l'admettre.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Les règles sont les règles, mon frère. Ou bien aurais-tu par hasard l'intention de faire une exception pour Tenley ?
Jamie et lui échangèrent un regard entendu. Je n'avais pas besoin ni envie qu'on me le rappelle. Je levai les yeux au ciel et entrepris de nettoyer mon poste de travail. La soirée était bien avancée. J'avais passé plus d'une heure et demie avec Tenley.
— On sort ? demanda Chris. La question m'était destinée.
— Pas ce soir.
Je n'étais pas d'humeur à sortir dans un bar, ni à supporter les filles repoussantes qu'on y rencontrait généralement. Plus les mois passaient, moins l'idée de faire la tournée des bars m'attirait. Et c'était encore plus vrai depuis peu.
J'avais un meilleur projet, et celui-ci concernait Tenley. Je voulais cette fille. Non seulement dans mon fauteuil de tatouage, mais aussi dans mon lit. Et pas juste une fois. Je voulais un nombre de parties de jambes en l'air illimité, dans d'innombrables positions et d'une durée indéterminée.
Mais d'abord, je devais la tatouer. Je devais m'exercer à la patience. Je n'en avais déjà plus beaucoup, mais il faudrait que je fasse avec. Quelques minutes plus tard, Tenley et Lisa sortirent de la salle de perçage. Lisa avait l'air contente, et Tenley, plutôt nerveuse. Elle évita de croiser mon regard. J'avais du mal à croire que le chaton effrayé était de retour alors qu'elle venait de m'embrasser sur la joue. Chaque fois que je pensais avoir progressé un peu, je reculais de plusieurs pas. Jamie se leva et s'étira.
— Tu es prête, chérie ? demanda-t-il en écartant les bras.
— Toujours.
Lisa se frotta contre lui et passa les mains sur son torse à moitié nu.
Je me demandais ce qui lui avait pris de mettre une veste pareille aujourd'hui. En tout cas, tout le monde n'avait pas arrêté de le mater. Mais il avait certainement fait ça pour Lisa. Parfois, ils oubliaient un peu trop qu'ils n'étaient pas seuls. Visiblement, c'était le cas ce soir. Je me tournai vers Tenley, qui se tenait à côté de moi.
Elle ne semblait pas partager mon mépris pour leurs démonstrations d'affection. Au contraire, elle avait l'air triste, presque nostalgique.
— Je devrais rentrer, dit-elle en déroulant maladroitement la manche de son chemisier.
J'avais l'envie très étrange de la serrer dans mes bras comme elle l'avait fait avec moi un peu plus tôt. J'avais trouvé ce contact plus agréable que prévu, vraiment. J'essayai de me souvenir de la dernière fois où j'avais serré quelqu'un dans mes bras avant cet après-midi.
Pas une accolade de mec, un vrai câlin. Ma mère adorait ça. Enfant, je raffolais de ses gestes tendres, mais j'avais commencé à les maudire une fois adolescent.
Il avait bien dû m'arriver de serrer Lisa ou Cassie dans mes bras au cours des sept dernières années, mais je ne me souvenais d'aucun moment précis. La plupart du temps, je n'encourageais pas les autres à me témoigner leur affection.
— Je peux te raccompagner, proposai-je à Tenley.
C'était déjà pas mal. Les autres choses que j'avais envie de lui faire étaient beaucoup moins convenables. Je rêvais par exemple de l'entraîner de nouveau dans la salle privée pendant que Lisa et les mecs auraient le dos tourné, mais ce serait sans doute mal perçu.
— J'habite en face.
— Oui, mais il est tard et tu dois prendre cette ruelle entre les deux immeubles, dis-je en pointant du doigt la ruelle en question.
Là-dessus, mon esprit s'emballa. J'imaginai divers scénarios terrifiants, se terminant tous par un bain de sang. Certains jours, je détestais la façon dont fonctionnait mon cerveau.
— J'ai un spray au poivre.
— C'est bon à savoir, mais ça ne te servira pas à grand-chose si un mec qui fait deux fois ta taille te surprend par-derrière.
— Personne ne va m'attaquer.
— Ce genre de chose arrive tout le temps. Contrairement à ce que j'avais prévu, ma proposition initiale se transformait rapidement en dispute. Je tentai d'arranger les choses en lui rappelant qu'elle avait une dette envers moi.
— D'ailleurs, comme tu m'as promis des cupcakes, je compte bien aller les chercher.
— Bien sûr, comment avais-je pu oublier !
Tenley enfila sa veste. J'étais déstabilisé par mon entêtement. D'habitude, c'était l'impossibilité de vaincre la mort qui hantait mes cauchemars et mes pensées obsessionnelles ; mais je n'avais encore jamais craint la mort de quelqu'un. J'étais surpris par mon envie de la protéger.
Je lui ouvris la porte du salon et criai par-dessus mon épaule :
— À demain, les gars.
Abruti.
Je traversai la rue en silence avec Tenley. J'étais incapable de trouver un sujet de conversation banal après m'être invité chez elle aussi effrontément. Tenley me sauva de l'embarras.
— Tu te souviens de l'invasion des coccinelles ?
— Quoi ?
— C'était comme celle des grenouilles dans la Bible, sauf qu'il s'agissait de coccinelles. Je ne devais pas avoir plus de treize ans. Un jour, je suis rentrée de l'école et ma maison en était couverte. On aurait dit un organisme vivant, qui respirait et saignait. Quand j'étais petite, je croyais que les coccinelles étaient rares et précieuses. Elles étaient censées nous porter chance lorsqu'elles se posaient sur nous.
— Comme les trèfles à quatre feuilles.
— Exactement. Ma mère me disait alors de faire un v½u. Mais cette fois-là, il y en avait des milliers. Même dans la maison. Elles ont commencé à devenir embêtantes, elles n'avaient plus rien de spécial. Au printemps, quand j'ai fait le ménage dans ma chambre, j'ai retrouvé des coccinelles mortes dans tous les coins. Ma chambre était devenue un vrai cimetière...
— Ta mère vit près d'ici ? Demandai-je.
C'était la première fois qu'elle mentionnait un membre de sa famille et je voulais en savoir plus.
— Elle est morte dans un accident, répondit-elle doucement. Tenley fouilla dans son sac à main. Nous approchions de l'entrée située derrière le magasin.
— Oh ! Pardon.
J'étais tellement soulagé de lui avoir tatoué un cupcake plutôt qu'une coccinelle.
La mort de sa mère pouvait expliquer, au moins en partie, sa volonté de se faire tatouer cet immense dessin sur le dos. Mais je me doutais que ce n'était pas la seule raison de son traumatisme. Ce dessin comportait tellement d'éléments puissants : les ténèbres, la destruction, la vie inaccessible en arrière-plan. Il y avait bien une légère allusion à la guérison, mais on aurait dit que le feu l'emportait sur l'espoir, qu'il brûlait tout trop rapidement.
Les yeux baissés, Tenley haussa les épaules. Je compris que j'avais touché un point sensible. « N'insiste pas, me dis-je. Généralement, les chatons effrayés s'enfuient en courant et, quand ils sont en colère, ils sortent leurs griffes. » L'équilibre de Tenley était précaire.
En tout cas, j'allais bientôt disposer de longues heures pour lui faire révéler ses secrets, étant donné les nombreuses séances de tatouage qui nous attendaient.
— Une minute.
Tenley leva une main, m'intimant de ne pas bouger, et s'accroupit en bas de l'escalier. Je fis un pas vers elle, de peur de l'avoir contrariée, mais elle secoua rapidement la tête et posa son sac besace par terre.
— N'aie pas peur, roucoula-t-elle en faisant claquer sa langue contre son palais.
Je compris alors ce qui avait attiré son attention. Un chaton roux et blanc aux énormes pattes sortit de l'ombre derrière la poubelle et renifla ses doigts avec hésitation.
— Qu'est-ce que tu fais là, minou ?
Tenley attendit patiemment que le chaton cesse de la renifler. Comme il n'avait pas l'air de vouloir se sauver, Tenley le gratta sous le menton. Le chaton frotta son museau contre sa main et se laissa faire quand Tenley le prit dans ses bras. Il paraissait beaucoup trop jeune pour se promener tout seul dehors par une nuit aussi froide.
— Il n'a même pas de collier.
Tenley le berça dans ses bras et frotta son nez contre sa tête. J'observai la petite bête. Lorsque j'essayai de le caresser, le chaton laissa échapper le plus ridicule des miaulements et donna un coup de patte à ma main.
— Qu'est-ce qu'il a aux pattes ? Demandai-je.
Elles étaient aussi grosses que sa tête. Tenley inspecta celle qui pendait à côté de sa main. Elle palpa doucement ses coussinets, écarta ses orteils, et un immense sourire apparut sur son visage. Je ne l'avais jamais vue exprimer une gaieté aussi sincère.
— C'est un chat polydactyle.
— Depuis quand les chats descendent des dinosaures ? Elle rit.
— Polydactyle, ça veut dire qu'il a des orteils en plus. On dirait bien que ce chaton a des pouces opposables. Tenley massa le dessus de ses énormes pattes.
— Ben, dis donc, c'est bizarre. Je la regardai câliner sa petite âme s½ur. Tu devrais l'emmener chez toi, non ? Il ne survivra jamais ici.
Tenley hocha la tête et serra la boule de poils à rayures contre sa poitrine. Je soulevai son sac.
— Je vais porter tes affaires jusqu'en haut de l'escalier.
— Mes clés sont dans la poche de devant.
Elle pointa du doigt une fermeture sur le rabat. Je lui tendis son sac et elle se mit à chercher, tandis que le chat miaulait à pleins poumons en essayant de lui escalader l'épaule.
— Laisse, je vais le faire.
Je glissai une main dans la poche et finis par trouver son trousseau de clés. Tenley me montra celle qui ouvrait la porte d'entrée et je montai les marches derrière elle. Une fois là-haut, j'essayai d'ouvrir celle de son appartement, mais le verrou ne tournait pas.
— Il se coince parfois. Tu peux tenir le chaton une minute ?
Je plaçai mes paumes sous ses mains, et Tenley écarta lentement les siennes pour ne pas effrayer son nouvel animal de compagnie. Le chaton me mordilla le pouce et miaula avec mécontentement tout en labourant ma peau de ses petites griffes pointues. La dernière fois que j'avais tenu un chat dans mes bras, c'était la nuit où j'avais trouvé mes parents morts.
Quand j'avais pris conscience de ce qui s'était passé, j'avais pété les plombs et démoli tout le salon avant qu'arrive la police. Bêtise, le chat de ma mère, avait disparu cette nuit-là. Je ne l'avais jamais revu depuis, mais les cicatrices sur mes bras m'empêchaient de l'oublier. Elles étaient cachées sous le c½ur sanguinolent.
— Tout va bien, n'aie pas peur, dis-je en tapotant le dos du chaton.
Tenley tourna la clé dans tous les sens, et la porte s'ouvrit enfin. Elle me laissa entrer et verrouilla la porte derrière elle. Pendant qu'elle enlevait ses chaussures et accrochait son sac à l'un des crochets à côté de la porte, je jetai un ½il autour de moi. Le mobilier était composé de meubles anciens et des trucs modernes qu'on trouve généralement dans les appartements d'étudiants.
Rien n'était vraiment assorti. Des livres et des papiers recouvraient la table basse et il y avait une couverture en boule sur le sol près du canapé. Ce bazar me donnant très envie de ranger, je regardai ailleurs. Sur le plan de travail de la cuisine, j'aperçus une boîte pleine de cupcakes. Je jetai mes chaussures dans un coin et me dirigeai droit vers elle.
Le chaton dans une main, je soulevai le couvercle de l'autre, sortis un gâteau recouvert de glaçage avec précaution et mordis dedans à pleines dents.
— Ces cupcakes sont tellement bons, marmonnai-je. Je collai mon gâteau sous le nez du chaton pour qu'il le renifle, mais je le retirai avant qu'il puisse le lécher et fourrai le reste dans ma bouche. Tiens, mon petit pote, goûte-moi ça.
J'enfonçai mon doigt dans le glaçage d'un autre cupcake et le tendis au chaton. Il goûta prudemment la crème au beurre, puis se jeta dessus. L'air amusé, Tenley tâta sa poche arrière et en sortit son portable. Elle le tendit devant elle, et l'appareil bipa.
— Qu'est-ce que tu fais ? Le chaton léchait mon doigt plein de glaçage ; c'était moyennement viril.
— Tu es mignon.
— Mignon ? J'étais consterné. Personne ne m'avait jamais dit que j'étais mignon, sauf peut-être quand j'étais bébé. Et encore, ce n'était même pas certain.
— Oui. Mignon. Adorable, même.
— Je crois que tu devrais trouver d'autres mots.
— Sinon quoi ? Tu vas refuser de me tatouer ? Tenley serra son portable contre sa poitrine d'un geste protecteur et baissa les yeux pour regarder la photo.
— C'est fort probable.
— Peut-être que je devrais l'envoyer à Lisa, histoire de voir ce qu'elle en pense. Tenley commença à appuyer sur des touches.
— Tu vas vraiment le faire ?
Si Chris voyait cette photo, ce serait le plus beau jour de sa vie. Il l'imprimerait en grand format et l'accrocherait dans la vitrine du salon. J'en entendrais parler toute ma vie.
— C'est fort probable. Je laissai tomber le chaton sur le plan de travail et fonçai sur Tenley.
— Tu crois vraiment que c'est une bonne idée ? Tenley recula et se cogna dans les placards du bas. Son sourire insolent s'évanouit aussitôt. Je devais avoir l'air très énervé. Elle essaya de se faufiler sur les côtés, mais j'imitai ses mouvements et l'empêchai de passer. Le chaton gambada vers une tasse de café vide près de l'évier. Tenley l'observa du coin de l'½il, puis son attention se porta à nouveau sur moi.
— Tu ne m'intimides pas. Je souris.
— Ce n'était pas mon intention. Je voulais simplement te suggérer de garder cette photo pour toi.
— Sinon ?
— Tu veux vraiment le découvrir ?
— Tu aboies beaucoup, mais tu ne mords pas. Je lui arrachai son portable des mains et le fis glisser sur le plan de travail.
— Tu le penses vraiment ?
Je savais exactement comment cette histoire allait se terminer. Je n'aurais jamais dû entrer chez elle. J'aurais mieux fait de lui rendre le chaton sur le pas de la porte, d'attendre les cupcakes dans le couloir et de rentrer chez moi. Ensuite, j'aurais pu régler mon foutu problème et aller me coucher. Mais non. Au lieu de ça, je me trouvais dans la cuisine de Tenley et je la coinçais contre le plan de travail tout en imaginant quel pied j'allais prendre le reste de la nuit. Aux chiottes la règle.
Tenley inclina très légèrement la tête et m'offrit l'étendue soyeuse de sa gorge. C'était une invitation ; je ne pouvais pas l'ignorer. Alors, je me penchai en avant et frottai mon nez le long de son cou. Ma bouche ne tarda pas à prendre la relève. Sa peau était chaude sous mes lèvres. Je les entrouvris pour goûter et commençai à la mordiller.
— Tu vois bien que je peux mordre, lui chuchotai-je à l'oreille en prenant son lobe entre mes dents.
Tenley soupira et glissa ses doigts dans mes cheveux. J'allais simplement l'embrasser et on en resterait là. C'est en tout cas ce que je me répétais en la mordillant tout le long de la mâchoire jusqu'à sa bouche. Je lui inclinai la tête sur le côté en posant tendrement la main sur sa joue. Rien dans son attitude ne semblait s'opposer à ce que je m'apprêtais à lui faire.
— Est-ce que je suis mignon, maintenant ? Tenley secoua la tête. Adorable, même ?
J'effleurai sa bouche de mes lèvres et elle s'entrouvrit. Encore une invitation.
— Pardon ? Je n'ai pas bien compris. Je coinçai sa lèvre supérieure entre les miennes, la caressai de ma langue et attendis.
— Non.
— C'est bien ce que je pensais.
Ses mains remontèrent de chaque côté de mon cou et s'enfouirent dans mes cheveux. Tenley me rapprocha d'elle, sa poitrine pressée contre la mienne, et se hissa sur la pointe des pieds. Je pressai ma langue sur sa lèvre inférieure.
Mes caresses étaient lentes et minutieuses, car maintenant, plus que jamais, je devais réussir à me maîtriser. La bouche de Tenley était sucrée et elle sortit sa langue toute douce pour toucher la mienne. Puis elle goûta, testa, hésita lorsqu'elle rencontra la bille argentée sur ma langue et étudia cette nouvelle sensation pendant que je faisais la même chose.
J'avais eu l'intention de savourer ce moment, mais les doigts de Tenley m'agrippèrent douloureusement les cheveux. Ses ongles me griffaient le cuir chevelu tandis qu'elle essayait de se rapprocher de moi. Renonçant à toute prudence, je glissai un bras autour de sa taille et enfonçai ma langue dans sa bouche. Mes viperbites s'écrasèrent contre ses lèvres et s'enfoncèrent dans sa peau.
Cette séance de tripotage risquait de compliquer les choses entre nous. Mais même cette idée ne suffit pas à m'arrêter. Tenley était si douce, si chaude, si foutrement délicieuse.
Je gémis. La main qui n'était pas posée sur ma nuque venait de se glisser sous ma chemise et se promenait vers mon ventre. J'avais tellement rêvé de ce contact peau à peau. J'avais envie de déshabiller Tenley et de l'allonger sur la surface disponible la plus proche. Une idée assez idiote, étant donné les deux mois de séances de tatouage qui nous attendaient.
Je saisis les fesses de Tenley à pleines mains, la déposai sur le plan de travail et me plaçai entre ses jambes. Abandonnant mes cheveux, ses deux mains se dirigèrent vers mon dos et se promenèrent le long de la ceinture de mon pantalon, puis sur mes flancs et ma poitrine. De ses doigts timides, Tenley joua avec les barbells qui transperçaient mes tétons. Ensuite, elle enroula ses jambes autour de ma taille, me serra fort contre elle, et le désir l'emporta sur la raison. Elle se mit à balancer les hanches d'un côté sur l'autre, et mon sexe en érection, qui cherchait désespérément à faire exploser la braguette de mon jean, se réjouit de cette friction. Je lui touchai les fesses d'une main, trop content de pouvoir la peloter, tandis que la deuxième localisait le bord de son chemisier. Le tissu glissa le long de mon poignet jusqu'à ce que mes doigts rencontrent enfin du satin et de la dentelle. Les choses allaient trop loin. Si Tenley perdait le moindre vêtement, je n'aurais jamais le sang-froid nécessaire pour éviter l'inévitable. Mais, bon, j'avais quand même le droit de regarder. J'interrompis notre baiser et baissai les yeux.
Son soutien-gorge était assorti à sa petite culotte : gris à fines rayures roses et bordé de dentelle rose pâle. Il était sexy et féminin, mais je voulais qu'il disparaisse. Je glissai un doigt sous la bordure en dentelle.
— Attention, haleta Tenley en posant sa main sur la mienne. La cicatrisation n'est pas terminée.
Il me fallut une bonne seconde pour comprendre de quoi elle parlait. Ainsi, certains des bijoux qu'elle avait choisis avec Lisa se cachaient sous le rembourrage soyeux que j'avais envie de lui arracher. J'enfonçai mon doigt plus loin et effleurai le barbell, si bien que son téton se durcit aussitôt. Impossible de faire tout ce dont je rêvais. Ses tétons devaient être encore beaucoup trop sensibles. Je retirai ma main de son chemisier, et Tenley laissa échapper un grognement de mécontentement. Mon entrejambe réagit tout de suite à ce son presque insignifiant.
— Tu en as d'autres ? lui demandai-je en frottant mon bassin contre elle. L'une de ses mains se glissa entre nous et palpa mon érection.
— Pas pour le moment.
Je crus que ma tête allait exploser. Ma vision était trouble. Plus on y irait loin, plus j'aurais du mal à arrêter mes conneries. Je recommençai à l'embrasser dans l'espoir d'apaiser le désir violent que nous ressentions l'un pour l'autre. Je retirai lentement sa main de la boucle de ma ceinture et glissai mes doigts entre les siens. Elle laissa échapper un grognement de frustration et essaya de se dégager.
— Doucement, Tenley.
J'avais terriblement envie d'elle, mais ma conscience avait repris le dessus. Dommage qu'elle ne se soit pas manifestée dix minutes plus tôt, avant que je pose ma bouche et mes mains sur Tenley. Je l'embrassai une dernière fois et reculai pour de bon. Tenley n'avait aucune envie d'en rester là, cependant. Je fis un pas en arrière, mais elle se pencha vers moi et m'attrapa par la boucle de ma ceinture.
— Il faut qu'on y aille doucement, dis-je en essayant de paraître calme malgré ma voix rauque.
— Mais tu en as envie, protesta-t-elle. Elle glissa les doigts dans mon pantalon et toucha mon gland à travers la fine barrière de mon boxer. En dépit du bon sens, je posai ma main sur la sienne et l'éloignai une fois encore.
— Je n'ai pas dit le contraire.
— Alors, pourquoi tu veux y aller doucement ? fit-elle d'un ton railleur. Elle cessa cependant de lutter contre ma main. Mais je n'allais pas la lâcher cette fois, car je ne lui faisais pas confiance.
— C'est compliqué.
Les jambes de Tenley retombèrent, et, la main posée sur mon torse, elle me repoussa.
— Tu as déjà quelqu'un. C'était une accusation. Elle était persuadée d'avoir raison ; je le lisais dans son regard noir, sexy et rageur.
— Tu trouves vraiment que je suis le genre de mec à avoir une copine ?
Mon ton était plus hostile que je le voulais. Tenley s'écarta de moi et remonta ses genoux contre sa poitrine, comme si elle se cachait derrière une barricade.
— Putain, marmonnai-je, frustré d'avoir enfreint la seule règle que j'aie jamais essayé de suivre.
Et je l'avais blessée par la même occasion. Tenley secoua la tête, et un sourire triste étira les coins de sa bouche.
— Non. Bien sûr que tu n'as pas de copine. Sinon, tu serais obligé de montrer celui que tu es vraiment.
— Qu'est-ce que ça veut dire au juste ? la coupai-je brusquement. Je n'avais pas l'habitude d'être critiqué.
— Rien. Oublie ce que j'ai dit. Tu devrais y aller. J'ai des dissertations à corriger et je donne un cours demain matin.
Tenley se laissa glisser du plan de travail et réajusta son chemisier. J'étais juste en face d'elle quand elle leva les yeux. Ses yeux étaient humides et exprimaient une souffrance si profonde que je m'en voulus immédiatement de l'avoir blessée. C'était moi qui avais commencé, et puis je l'avais laissée en plan. Je n'aurais dû faire ni l'un ni l'autre. Elle m'aurait très probablement laissé la baiser sur ce plan de travail et je ne savais pas quoi en penser.
Dans d'autres circonstances, j'aurais sauté sur l'occasion. Mais, avec Tenley, c'était problématique. Elle n'entrait pas dans la même catégorie que les femmes avec qui j'avais déjà couché. Et ça me convenait parfaitement.
— Tenley. Ce n'est pas...
— Je t'en prie, ne dis rien, chuchota-t-elle, les lèvres tremblantes.
Un petit miaulement s'éleva à côté d'elle. J'avais complètement oublié le chaton. Tenley le prit dans ses bras, m'empêchant de poursuivre toute conversation. Je voulais lui expliquer le problème, mais je n'y arrivais pas. Les mots ne venaient pas. Elle avait visé en plein dans le mille en disant que je cachais ma vraie personnalité aux autres. Mais elle ne me comprenait pas, et elle ne le pourrait jamais. Si elle découvrait tout ce que je dissimulais sous mes tatouages et mes piercings, elle ne voudrait plus jamais s'approcher de moi.
— Tu veux que je parte ?
J'avais envie de rester pour avoir une chance d'arranger les choses. Concentrée sur le chaton, Tenley enfouit son nez dans sa fourrure et passa devant moi sans me regarder.
— Ça vaut sans doute mieux. Elle ouvrit la porte et contempla le mur pendant que j'enfilais mes chaussures et sortais dans le couloir.
— Je suis vraiment...
— Ne t'excuse pas, s'il te plaît, m'interrompit Tenley avec un sourire vague et amer.
— Bon. D'accord. On se voit quand même mardi ?
— Pourquoi ?
— Pour que je puisse examiner ton nouveau tatouage.
— À la prochaine, Zayn.
Tenley referma la porte sans me donner de vraie réponse, ce que je supposai être une réponse en soi. J'entendis un verrou se fermer, suivi d'un bruit sourd, puis je me dirigeai vers l'escalier. Soudain, un long gémissement déprimé s'éleva de l'autre côté de la porte.
Parviendrais-je un jour à réparer ce que je venais de briser ?
artfla, Posté le samedi 04 juin 2016 12:29
Merci Ali, tu iras voir sur mon blog j ai mis une superbe photo avec ta bannière , tu me diras si tu aimes?? Bisous😘😍💕